Destination MARGUERITE .

Il s’agit bien évidemment d’un prénom féminin.

C’est celui de la deuxième femme de Charcot, Marguerite Cléry, fille d’un célèbre avocat parisien, et Bâtonnier de l’Ordre, Léon Cléry ; Jean-Baptiste épousa Marguerite début Janvier 1907,… après avoir divorcé de Jeanne Hugo … qui lui reprochait d’avoir abandonné le domicile conjugal ! sûr , pendant près de trois ans… re !

Charcot était un homme du monde, doublement ; d’abord parce que, issu d’une famille bourgeoise de la 3ème République … fils d’un professeur Neurologue réputé, membre de l’institut, proche par ses relations familiales des hautes sphères intellectuelles et politiques , en fratrie avec Marie Waldeck-Rousseau, qui a épousé d’abord la petite fille de Victor Hugo, elle même divorcée de Léon Daudet…bref un membre éminent de la société brillante de la IIIème république.

Ensuite parce qu’il se passionna rapidement pour les navigations au long cours au sein des eaux polaires où il participa activement, en ce début de 20 eme siècle, aux recherches géographiques et scientifiques de ces territoires pendant près d’un demi-siècle du Nord au sud

C’est dans le cadre de sa deuxième expédition , avec hivernage sur place , en antarctique , qu’il donna à une ses découvertes géographiques parmi celles qui lui paraissait des plus importantes , le nom de baie Marguerite ; c’était à l’époque des découvertes un usage courant mais sympathiques que de dénommer les lieux découverts d’une caractéristique majeure , du nom du saint du jour , ou de nom des chercheurs ou scientifiques à bord, d’épouses , ou de bienfaiteurs …

Mais Charcot devait être aussi un sentimental car le prénom de son épouse servit plus tard encore , « à la mer », quand en juillet 1915, il obtint de l’Amirauté britannique le commandement d’un navire spécialement étudié pour la chasse anti-sous-marins. Mais il s’agissait alors d’un ancien baleinier reconverti qui n’a pas apporté de résultat probant escompté. Pourtant, il fut baptisé « Meg », contraction britannique familière du joli prénom florale !

Puis il récidiva lorsque il réussit à convaincre la marine militaire française cette fois de construire à Nantes trois navires « leurres » pour la lutte anti-sous-marins, avec des équipages déguisés en marins de commerce.

Il prit le commandement du premier d’entre eux qui fut à nouveau baptisé « MEG 2 »( cette fois) …

Ce n’est pas le premier qui honora le nom de leur épouse, patientes , à les entendre dans les compliments de salon , pendant les expéditions qui duraient plusieurs années ; à commencer par Dumont Durville qui, abordant le premier en provenance d’Australie des terres appartenant manifestement à un continent inconnu, baptisa celles-ci du prénom de sa femme «Adélie », jolie prénom aussi sur lequel s’exerce aujourd’hui la présence de la France sur ce continent, administré par les Taaf, Territoires Arctique et Austral Français, et qui fait de nous une des nations les plus actives des questions polaires et environnementales .

Marguerite est donc le nom de la baie découverte par Charcot le 14 janvier 1909.

C’est l’une des découvertes les plus importantes de Charcot à l’occasion de sa seconde expédition (1908-1910) , au sud de la terre de Graham (péninsule antarctique).

On ne savait pas encore à cette époque s’il s’agissait d’un continent. On considérait que ces terres étaient des îles avant la « terra incognita ».

Les baleiniers et les chasseurs de phoques avaient occupé en premier les îles situées dans le prolongement apparent de la Cordillère des Andes et de la terre des Feux, sous le détroit de Drake. (On a donné à ce passage situé entre le Cap Horn et ces îles, le nom du célèbre navigateur anglais du 18ème siècle) ; ce passage s’étend sur environ 400 miles nautiques et constitue le détroit le plus venteux et le plus agité du globe, bien en dessous des célèbres 40émes rugissantes.

Quand on regarde une carte du continent tel que nous le connaissons aujourd’hui, on se rend compte qu’il y a trois points d’accès : le plus éloigné, l’Afrique du Sud, est situé par 45° sud.

Puis l’Australie d’un côté et l’Amérique du Sud, de l’autre côté, en sont plus proches et situées par 54° sud.

Globalement, le continent antarctique se trouve au delà du cercle polaire antarctique situé au 66ème, 6 Sud, c’est-à-dire là où se produit le soleil de minuit pendant l’été austral, à savoir du 21 mars au 21 septembre, pendant l’hiver austral.

Toujours est-il qu’au début du 20ème siècle les baleiniers et quelques explorateurs avaient découvert un certain nombre de terres dont on ne savait pas encore si elles constituaient des îles ou si elles constituaient les prémices d’un continent qui restait encore à découvrir, ce qui provoqua beaucoup d’agitation…

La Discovery, commandée par Robert Scott, chef de l’expédition officielle anglaise ( avec « notre » Shackleton) avait quitté Cowes le 6 août 1901. Elle était au Cap le 3 octobre, puis en Nouvelle Zélande le 20 novembre ; la Gauss portant l’expédition allemande, sous les ordres de Von Drygalski était partie de Kiel le 11 août 1901 ; l’expédition suédoise de Otto Nordenskjeld etait partie le 16 octobre 1901 sur le vapeur Antarctica. Le vapeur était commandé par un certain capitaine Larsen, bien connu des expéditions arctiques. En 1903 on était sans nouvelles de lui ( pas de TSF encore !) .

Enfin, l’expédition écossaise de MWS Bruce s’était également lancée mais ne se proposait pas d’hiverner.

C’est par suite de diverses circonstances que Jean-Baptiste Charcot a été amené à détourner la mission scientifique qu’il comptait lancer dans l’hémisphère boréal pendant l’été 1903 et se diriger vers les eaux australes.

La décision a été prise tardivement en fait, et peut-être parce que la préparation du bateau au chantier Gauthier à Saint-Malo prenait plus de temps que prévu et que le Pourquoi-Pas ? III rebatisé « Le Français » n’a pu être lancé que le 15 juillet 1901, alors que Charcot avait prévu initialement de partir dans son exploration arctique le 1er juin.

La belle saison lui a paru trop avancée pour poursuivre son projet sur les mers arctiques et il préféra prendre la décision d’affronter les glaces, mais dans l’antarctique, et d’y hiverner , cad d’y passer l’été 1904.

En outre, on était sans nouvelle du navire suédois Antarctica et Charcot proposa de participer aux recherches, entraînant ce faisant la France dans la compétition internationale à l’exploration de l’antarctique.

Le retard mis à terminer le Français a donc influé visiblement sur la décision de changer radicalement de cap, la belle saison risquant d’être trop avancée pour une croisière boréale et il valait mieux dès lors profiter de l’été austral pour entreprendre un périple qui permettait d’envisager ensuite un hivernage et une expédition sur des mers et des territoires jusqu’à présent peu explorés par des expéditions françaises.

Pas encore question de Baie Marguerite (d’autant que Charcot n’avait pas encore épousé Marguerite Clery) ; en outre la baie se trouve dans la partie la plus basse de ce que nous savons aujourd’hui être la péninsule antarctique, cette langue de terre qui descend vers le continent lui-même, celui-ci étant relativement circulaire ( incluant sa banquise d’été) entre le 70ème et le 72ème degré sud. A l’époque, les connaissances géographiques se limitaient à ce que l’on appelait globalement « les terres de Graham » composant l’essentiel de la péninsule antarctique ; on se limitait en connaissance au cercle polaire antarctique ( 66°6 sud) .

Lors de sa première expédition (1903), Charcot avait déjà pu dépasser le cercle polaire Sud et longer les îles Biscoe pour aller jusqu’à l’île Adélaïde ( 68° sud - reconnue par Biscoe en 1838) et il avait donné aux terres qui se trouvaient à l’Est le nom de Loubet du nom du Président du Conseil qui l’avait aidé en partie à financer le budget de sa première expédition.

Il avait deviné sous l’île Adelaide une grande étendue bordée à l’est de montagnes éloignées sans avoir pu les qualifier de terres mais seulement de probabilité d’iles et sans imaginer encore que cette baie s’étendrait vers le Sud jusqu'à l’ile Alexandre 1er aperçue du large par l’expédition Bellinghausen en 1821 . Le lieu , toujours plus au sud est en effet très encombré de glaces ; Charcot ne put d’ailleurs s’approcher vraiment de la cote et s’amarrait à la banquise elle même .

C’est en janvier 1909 qu’il put descendre jusqu’à l’île Adélaïde, emprunter le Chenal Grandidier, poursuivre et persévérer au delà du 70°sud ; il espérait même pouvoir hiverner vers les nouveaux espaces qu’il tentait alors de découvrir au-delà. C’est alors qu’il découvrit ce qu’il appela dans un premier temps « le Golfe », tant l’espace lui paru important ; il donna finalement le nom de Baie Marguerite à cet immense espace de 70MN de long et de large

 Iti Charcot Copier

 

 

C’est le 15 janvier 1909 qu’il a découvert cette baie, ainsi qu’il l’a inscrit sur son journal de bord :

« La terminaison de la calotte de l’île Adélaïde forme un beau cap élevé après lequel s’ouvre une sorte de baie, ou plutôt de golfe, dont nous devinons à peine le fond.

J’éprouve une réelle émotion devant ces terres que nous sommes les premiers à contempler ; nous gouvernons pour entrer dans le golfe et nous sommes obligés de perpétuels détours car les récifs se dressent menaçants de tous côtés. Les icebergs sont nombreux et de grands blocs de glace côtières encombrent notre route.

Nous constatons déjà par un simple coup d’œil que la terre se continue au-delà de la latitude assignée par Biscoe à l’île Adélaïde, comme était en droit de le supposer, mais jusqu’à aujourd’hui sans la moindre preuve. Nous voyons aussi qu’elle ne prend pas, comme on l’indique en général, la direction Sud-Ouest, mais qu’elle s’incline au contraire après la terre Adélaïde jusqu’au Sud-Est, puis au Sud 20° Est environ.

ce que nous prenons pour une baie d’étendue moyenne nous apparaît comme un énorme enfoncement qui mérite plutôt le nom de golfe. Il est actuellement comblé par une banquise côtière épaisse et plate.

Au golfe, je donne le nom de Marguerite, prénom de ma femme…

A la terre qui continue la terre Loubet (suite de la terre de Graham) vers le Sud, je donne le nom du Président de la République actuel, Monsieur Fallières. »

Avec le Pourquoi Pas ? Charcot est resté en baie Marguerite jusqu’au 30 janvier 1909, parcourant tous les endroits que les glaces pouvaient rendre accessibles. Il aurait voulu y passer son hivernage, mais il fut impossible de découvrir un point d’amarrage convenable pour son avenir.

C’est comme cela qu’il remonta, pour son second hivernage, vers l’île Petermann, quelques degrés au Sud de l’île Wandell où il avait hiverné la première fois avec Le Français.

Hiverner dans ces latitudes demande cependant beaucoup de moyens.

Charcot ne manquait pas de concevoir les bateaux de ses expéditions avec des cales suffisamment larges et profondes pour pouvoir y contenir tout le matériel, l’équipement et le ravitaillement suffisant.

Le Français avec lequel il fit sa première expédition 1903-1905, était un Trois-mâts goélette en fer de 32 m de long, 245 tonnes à vide, dont les soutes pouvaient contenir 60 tonnes de vivres et de matériels, 110 tonnes de charbon et 2 tonnes de pétrole (éclairage et chauffage), avec un moteur d’occasion et quelque peu « souffreteux » qui leur donna bien des soucis !

Le ravitaillement constitue une véritable problématique que Charcot soigne particulièrement, ne comptant pas nourrir ses hommes uniquement avec la viande de phoques et des manchots chassés sur place, ou les œufs de ces derniers, il embarque 12000 boites de conserves et de viandes, 2000 kilos d’aliments « non en boîtes », mais aussi 2000 boîtes de lait condensé, de boites de pâté de foie, 670 boîtes de potage concentré.

Cette provision abondante en plats cuisinés et de conserves représentait plus de deux années de ravitaillements variés pour une vingtaine d’hommes.

Bien entendu, il y a aussi 6000 kg de farine, 1000 kg de fruits secs, 5000 kg de légumes desséchés… et 20.000 litres de vin… c’est clair la banquise dessèche !

Pour la seconde expédition, le Pourquoi-Pas ? IV (dont Marguerite, sa seconde épouse, est la marraine ) est un véritable bateau d’exploration polaire de 40 mètres, 445 tonnes à vide avec un moteur auxiliaire de 550 CV, pouvant embarquer 250 tonnes de charbon et 100 tonnes de vivres.

Les moyens et les équipements bénéficieront de l’expérience et de la volonté de Charcot de poursuivre géographiquement les découvertes qu’il a effleurées avec Le Français. Pas de prétention à sensations pour gagner le Pole Sud mais la volonté de concourir à la découverte d’un continent et de son environnement glacée ; une vraie volonté géographique, océanographe et naturaliste. L’engouement se voit aussi dans les dons de nombreux donateurs institutionnels ou privés ; aux dons financiers se joignent la mise à disposition d’officiers, la fourniture de charbon, de matériels océanographiques par le prince Albert Ier de Monaco .

Le Pourquoi-Pas ?IV est d’ailleurs équipé de plusieurs laboratoires pour les travaux scientifiques , un de zoologie, un pour les sciences physiques et l’hydrologie, un pour la bactériologie et un enfin pour la photographie ( et même de la cinématographie ). Il y a aussi à pour les explorations en mer des canots automoteurs et pour les expéditions à terre des traîneaux automobiles De Dion Bouton.

Une telle volonté, une telle destination ne relève pas d’une simple navigation avec un peu de matériel pour aller sur la glace… C’est une aventure vers l’inconnu, « l’espace » de l’époque, d’un autre siècle. C’est une expédition humaine et technique , et on innove , on en profite pour essayer de nouvelles techniques et de nouveaux approvisionnements.

Pour la plus grande parties, ces provisions sont achetées à l’aide de ressources personnelles de la mission et le reste provient de dons gracieux.

Il en est ainsi d’une quantité de beurre et du lait qui ont été fournis à l’expédition antarctique française par la Maison Lepelletier de Carentan, lesquels se sont conservés merveilleusement.

Il avait été offert par Ernest Lecuyer, de la beurrerie laiterie industrielle de Carentan (Maison Lepelletier), qui avait fourni beurre en quantité, fromage et bouteilles de lait homogénéisées et stérilisées selon une méthode de son invention, avec même quelques bouteilles d’eau de vie de cidre «  de derrière les fagots » précise Charcot dans le journal de l’expédition !

Isigny Copier

En reconnaissance, Charcot attribuera même le nom de Lecuyer à une basse pointe rocheuse qui ferme, par le sud, l’anse de Port-Rockroy, sur l’ile Wiencke où il avait trouvé abri. Le Lait de la Maison Lepelletier sera de la seconde expédition aussi.

L’expédition a ainsi permis de tester des produits spécialement préparés, des plats pour être consommés deux ans plus tard , et des méthodes de conservations nouvelles qui se sont révélées très efficaces ; Charcot et divers membres de l’expédition ont noté que le lait ainsi préparé, qui a subi les pires assauts de la nature , la Ligne ( l’équateur) par 40° au dessus de 0, puis le cercle polaire par 40° au dessous, a été abondamment remué et, malgré ces vicissitudes, a été très utiles pour les malades et était un régal pour tout l’équipage …

MARGUERITE est une destination qui se mérite et se conquiert … À notre tour , en plaisanciers de notre siècle .

Jean-Michel Octobre 2011

Trombi JM