LES “POURQUOI PAS ?” ,ou les BATEAUX de CHARCOT
Jean-Baptiste CHARCOT s’est très rapidement senti attiré par la navigation. Son premier bateau, si l’on peut l’appeler ainsi, était une vieille caisse à savon qu’il utilisait dans le vaste bassin de la maison de ses grands-parents à Neuilly et qu’il avait déjà baptisé « Pourquoi Pa_ ? » (ainsi orthographié et déjà avec le point d’interrogation).
Il dira plus tard à propos du nom de ses bateaux : « ma devise n’a-t-elle pas toujours été Pourquoi Pas ? , le résumé de mon caractère, mélange de doute et de volonté ».
C’est son père qui, un an avant sa mort, lui offre un sloop (foc et gv) de 8,30m et de neuf tonneaux, le « Daisy », qu’il rebaptise «LE COURLIS ». Jean-Baptiste CHARCOT s’inscrit comme membre de l’Union des yatchs français (qui deviendra le yatch Club de France) et adhère également au Cercle de la Voile de Paris qui inspira le Cercle de Voile du Barreau de Paris. On régate alors sur le plan d’eau de Meulan.
Puis, CHARCOT va acquérir un monotype Saïtaphernes (plus connu sous le nom générique de « monotype de Chatou ») et va poursuivre sa vie de régatier au cercle nautique de Châtou, dont le pavillon est dessiné par le couturier Paul POIRET et immortalisé par les impressionnistes .
Il vend « le Courlis » en 1893 et fait construire son premier vrai bateau qu’il nomme « Pourquoi Pas ? ». Il s’agit d’un cotre (foc et trinquette) de 19,50m en bois, un plan « Sahuqué », qu’il fait construire au chantier Bonnin et Damon à Lormont près de Bordeaux. Ce cotre de vingt tonneaux est lancé en juin 1893 et à partir de Trouville, son port d’attache, CHARCOT prendra part aux principales régates du littoral. Il le revendra en avril 1896 et il sera alors rebaptisé en « Nirvanah » (…nous sommes d’accord !).
Dès lors, le goût de la mer et l’envie des destinations hauturières vont progressivement prendre possession de Jean-Baptiste CHARCOT ; l’appel du Large se fait de plus en plus pressant. Les régates ne lui suffisent plus ; ce ne sont que des exercices et des entraînements pour les prochaines navigations.
Pourtant il y brillait ; Lors des jeux olympiques de Paris en 1900, il participe aux régates de la première édition de ces épreuves et obtient deux médailles d’argent en catégorie « 0-1/2 tonne » à bord du « QUAND MÊME ». A l’époque, les médailles étaient attribuées à l’issue d’une seule manche de régate mais la petite classe, définie par rapport au tonnage des voiliers, courait deux fois.
Dès 1897, Jean-Baptiste CHARCOT va s’engager dans de véritables croisières. Il va regarder vers les océans, vers ces horizons lointains et la liberté qui va lui permettre de s’épanouir avec l’aventure comme compagne au quotidien…
Le deuxième Pourquoi Pas ? , précédemment nommée « Aline », est une goélette (un plan « Fife ») construite par le célèbre chantier écossais, que CHARCOT achète et rebaptise Pourquoi Pas ? Il la revend dès 1897 puis la rachète en 1899, séduit par les améliorations apportées par son propriétaire temporaire. Il conservera cette goélette jusqu’en 1901.
Durant l’été 1900, juste après les jeux olympiques, CHARCOT accomplit un tour de l’Irlande à la voile, révélant ainsi ses talents de navigateur. Cette croisière de 1740 miles, avec coups de vent à la clef comme il se doit, a forgé sa carrière de marin.
Puis naîtra son amour des milieux froids que CHARCOT découvrira lors d’un voyage pendant l’été 1901 aux Hébrides, aux Shetlands et aux Féroés où il se révèlera un marin passionné et intrépide.
Pendant l’été 1902, à bord d’une goélette mixte ( la motorisation apparaît dans la voile de plaisance hauturière) appelée « Rose Marine », que CHARCOT vient d’acheter mais n’a pas encore rebaptisée, il sera chargé d’une mission scientifique officielle en Islande et jusqu’à l’île Jan Mayen.
Au cours de cette croisière, CHARCOT tombe malade et est soigné à bord d’un navire hôpital, le « SAINT PIERRE ». Mais le cercle polaire est franchi, les glaces flottantes sont rencontrées. L’appel des régions polaires va se faire entendre, rêve et destin ne font plus qu’un désormais.
Dans son esprit clairement, cette expédition n’est qu’un prélude à un ensemble d’étude des régions arctiques : explorer les régions polaires n’est-ce pas repousser les limites du monde et donc de tenter d’aller au-delà de ses propres limites. Le voyage sur le Rose Marine s’avère donc un voyage initiatique.
C’est sa première croisière polaire. Il fera ce voyage de conserve avec la goélette « Arlequin » de son ami Denfert Rochereau.
C’est du Baron Oppenheim que CHARCOT acquiert ce troisième Pourquoi Pas ? . C’est un trois-mâts goélette (un plan « Scott »), en fer, de 86 tonneaux, avec une machine à vapeur ; Il sera rebaptisé aussi « Pourquoi Pas ? », mais ce bateau sera plus connu sous le nom du «FRANCAIS».
Le choix de ce nom sera une façon de remercier les personnes qui ont suivi son projet, médiatisé sur l’initiative du journal « Le Matin », pour financer sa campagne de 1903, en répondant à une souscription nationale qui a rapporté le tiers du budget total. Ce sera le seul de ses bateaux qui ne portera pas le nom de Pourquoi Pas ?...
Ce n° 3 des Pourquoi Pas ? aura un destin difficile car après l’hivernage en Antarctique, le « FRANÇAIS » talonne violemment et s’échoue sur une roche affleurante ; CHARCOT devra annuler la campagne d’été.
Après réparation de fortune, LE FRANÇAIS parvient à rallier le continent sud-américain et entre en cale sèche à Buenos-Aires. Il ne reviendra pas en France. Le navire sera vendu à la marine argentine et sera rebaptisé « El Austral ». Il assurera désormais le ravitaillement de la station météorologique des Orcades du Sud (quelque part sous la Géorgie du Sud… non loin des îles sandwiches- G.B ), avant de se perdre sur le banc Ortiz au milieu du Rio de la Plata en décembre 1907.
Le quatrième Pourquoi Pas ? est un trois-mâts barque (plan Gautier) construit par le chantier Gautier à Saint-Malo (le 3ème Pourquoi Pas ? devenu le FRANÇAIS était déjà passé par les bons soins de ce chantier). Il sera mis à l’eau le 28 mai 1908 pour la deuxième expédition en antarctique, en vue d’un nouvel hivernage.
C’est avec ce 4ème Pourquoi Pas ? que CHARCOT atteindra la renommée qui fait de lui un grand homme de la République… Il poursuivra ses expéditions vers le Nord pendant près d’un quart de siècle pendant lequel il recueillera comme personne en France des données scientifiques inestimables sur les mers polaires.
Il accueillera à son bord le jeune Paul Emile VICTOR pour sa première mission au Groenland et sera aussi indirectement, mais primitivement, à l’origine de la création de l’administration dédiée à l’étude et à la protection des Terres Arctiques et Australes Françaises – TAAF.
Jusqu’à cette nuit tragique du 16 septembre 1936 au cours de laquelle le Pourquoi Pas ? heurta un récif au nord w de la Baie de Reykjavik, en Islande, au cours d’une tempête où la fortune
de mer, néfaste, a mis en place un enchaînement d’incidents qui l’a mené jusqu’au naufrage.
Mais Jean-Baptiste CHARCOT ne navigua pas que sur ses bateaux.
Tout d’abord en 1898, une parenthèse touristique le fait embarquer sur le « Catania » en qualité de médecin pour accompagner le milliardaire américain Vanderbilt lors d’une croisière en Egypte avec remontée du Nil jusqu’à Assouan.
Sa qualité de médecin lui permet de passer dans la réserve de la Marine ; c’est en 1899 qu’il devient un officier de marine « assimilé » et va faire ses 28 jours à bord du « Douvet » (cuirassé de la 1ère Division de l’Escadre Méditerranée basée à Toulon) comme médecin de 2ème classe .
Jean-Baptiste CHARCOT est aussi un marin de la « Royale », la marine militaire française.
Lors de la déclaration de guerre, rentrant de sa campagne de juin/juillet 1914 en Manche et dans le Golfe de Gascogne, CHARCOT est à Saint-Malo et s’apprête à partir pour l’Islande. Il reçoit alors des instructions pour conduire son navire Le Pourquoi pas ? (4éme du nom) à Cherbourg en vue de son désarmement, ainsi qu’un ordre de mobilisation pour l’hôpital de la Bucaille dans cette même ville, comme médecin de 1ère classe de réserve.
Il va vivre à bord de son bateau avec sa famille. Il écrit alors au cabinet du Général Gallieni, gouverneur militaire de Paris : « Je suis beaucoup plus marin que médecin et plus apte à un rôle aventureux que sédentaire… ».
Bien qu’il ait le passé d’un capitaine au long cours avec ses 18 mois obligatoires de navigation, CHARCOT n’est pas pour autant reconnu comme un capitaine, car la navigation de plaisance ne compte pas et que c’est sous la rubrique de yachts de plaisance qu’ont été enregistrés le Français et le Pourquoi Pas ? pour ses deux expéditions en Antarctique.
Néanmoins, le sous-secrétaire d’Etat à la marine marchande lui fera obtenir son brevet de capitaine au long cours ; il obtiendra alors un commandement grâce à l’amirauté anglaise qui le chargera d’une mission navale dans le nord de l’Angleterre sur la « MEG» mise à sa disposition à l’Ouest des Hébrides et de l’Ecosse, à la recherche de sous-marins allemands.
C’est un navire de 45 m avec des qualités de rapidité et de maniabilité remarquables, une étrave coupante, équipée d’armements et de systèmes d’écoute spéciaux. Il sera basé à Stornoway (Ile de Lewis - Hébrides) bien connu des équipiers de notre Sir Ernst.
Puis il conçoit, toujours dans la lutte contre les sous-marins, l’idée d’un « cargo piège » pour parvenir à la destruction de ceux ci.
Le ministère de la marine et l’amirauté donneront leur accord pour ce projet et trois unités seront mises en chantier, baptisées « Meg », « Michel et René », « Jeanne et Geneviève », dont CHARCOT surveillera la construction. Il en prendra le commandement en mai 1917 et naviguera sur le MEG ( 2ème du nom).
Camouflé en bateau neutre, il naviguera dans les zones dites « neutres » et soi-disant autorisées par l’ennemi. L’artillerie était entièrement dissimulée et les panneaux de pavois abattables étaient peints aux couleurs d’une nation neutre. Au moment du combat, les panneaux pouvaient être rabattus, démasquant les pièces qui pourraient faire feu sur le sous-marin trop vindicatif.
Ainsi, pendant près de deux ans, CHARCOT va sillonner l’Atlantique Nord et l’embouchure de la Manche, menant un véritable combat de recherche avec zèle et minutie, mais sans grand succès.
En janvier 1919, CHARCOT sollicite sa nomination dans le cadre des officiers de marine de réserve. Il reste mobilisé jusqu’au 1er mai 1919, puis est promu enseigne de vaisseau de 1ère classe de réserve le 16 mars, et lieutenant de vaisseau de réserve le 21.
Il est ensuite élevé au grade de capitaine de corvette de réserve le 9 septembre 1920 et à celui de capitaine de frégate de réserve le 9 novembre 1923.
C’est avec ce grade qu’il va commander dorénavant le Pourquoi Pas ? et son équipage sera composé de marins de l’Etat. Le Pourquoi Pas ? deviendra alors, un temps, une école de perfectionnement pour des élèves candidats au brevet de capitaine au long cours.
Alors voilà SIR ERNST… Pourquoi Pas ? Se réimprégner de la volonté de trois amis partis sur les traces d’Ernest Shackleton, le célèbre explorateur anglais de l’Antarctique, connu pour ses qualités humaines et d’organisation qui, pour sa troisième expédition, a vu son navire « L’Endurance » pris par les glaces en mer de Weddell, être brisé par celles-ci, avoir conduit tous ses hommes d’équipage hors de la banquise, puis les avoir menés à bord des trois baleinières du navire jusqu’à la première des îles des Shetland du Sud, l’Ile Eléphant, et encore d’être parti sur une de celle-ci avec quatre hommes dans les 50ème hurlantes en direction de la Géorgie du Sud, 1 millier de Miles nautiques plus loin, pour rejoindre une station baleinière, et revenir ensuite, sauver tout son équipage.
Plus modestement, mais dans le même ordre, en commençant par l’Arctique et le Spitzberg, Sir Ernst (dont le nom est le fruit d’une erreur de traduction du prénom Ernest lors de l'enregistrement ) est, par deux fois en 2018, descendu le long de la péninsule antarctique jusqu’au 65ème Sud.
Sir Ernst est ainsi resté plusieurs jours à « Port-Charcot », sur l’Ile Wandel, là où 115 ans plus tôt CHARCOT avait hiverné une première fois avec le FRANÇAIS.
L’aventure se poursuit pour retourner vers ces terres et glaces vierges, envoûtantes, mais cette fois-ci, avec l’expérience, et en aménageant une mission scientifique destinée à des mesures météorologiques, sur la qualité des eaux traversées et à des relevés des profondeurs de sonde …
Pas de volonté d’imiter pâlement, mais simplement de suivre la voie tracée par Jean-Baptiste CHARCOT, et plus simplement, osons le dire, pourquoi pas ?...
(Source Edition Le Chasse-Marée n° 186 et n° 205 -
et Jean-Baptiste CHARCOT, explorateur des Pôles, Editions Glénat par Serge Kahn )
Jean-Michel septembre 2021